Mon kiné serait-il âgiste ?
France Mourey
Kinésithér Scient 2023,0650:01 - 10/02/2023
Face aux enjeux démographiques et à notre capacité à relever le défi du vieillissement, le regard porté par nos sociétés sur les personnes vieillissantes, jouera un rôle déterminant. L’âgisme qui accompagne l’évolution de notre société, volontiers utilitariste, a été particulièrement repérable au cours de la crise sanitaire que nous venons de traverser. Une campagne mondiale et nationale portée par la Société française de Gériatrie et de Gérontologie nous invite à nous interroger sur ce mécanisme de discrimination insidieux.
Les kinésithérapeutes, comme l’ensemble des professionnels soignants, sont exposés à un risque de conduites âgistes. En ce domaine, les paradoxes ne manquent pas. D’un côté on entend un discours de bon ton sur le thème du respect des personnes âgées et de l’autre des propos à peine voilés évoquant les contraintes économique et le poids d’une génération devenue inactive. Entre discours convenu et « Âgisme », on cherche parfois les prises de position authentique sur ce qui n’est pas un problème mais bien une chance : vivre plus longtemps.
L’ensemble de nos stéréotypes négatifs concernant les personnes âgées porte le nom d’âgisme. Dès 1969 on retrouve ce terme sous la plume de Butler comme un phénomène de société accompagnant le vieillissement de la population. Il faudra attendre beaucoup plus tard et en particulier ces dernières années pour trouver une littérature concernant le monde de la santé. En effet, la stigmatisation liée à l’âge influence les actes des professionnels de santé vis-à-vis des patients âgés. Les travaux de Stéphan Adam doivent nous alerter sur les nombreuses conséquences négatives de l’âgisme sur la santé de la personne.
La réalité est si forte et les conséquences tellement dramatiques que l’Organisation Mondiale de la Santé en a fait un enjeu mondial à travers un rapport publié en 2021. En effet si on se limite au domaine de la santé il court, il court l’âgisme comme un processus insidieux et s’infiltre dans les pratiques quotidiennes. Les études montrent les liens entre âgisme, maladies chroniques, hospitalisations et diminution de l’espérance de vie.
La notion d’âgisme rejoint celle d’âge subjectif qui nous fait nous sentir plus jeune ou plus âgé que notre âge chronologique. L’âge ressenti semble avoir plus de conséquences sur le plan physique et psychologique que l’âge réel et les personnes âgées avec une perception négative de leur âge ont moins de chance de récupération après une affection aiguë.
Tout cela doit amener les kinésithérapeutes, d’une part à identifier les caractéristiques de l’âgisme dans leurs pratiques et, d’autre part de mettre en place des remparts efficaces.
Le langage utilisé est sans doute un bon début pour analyser les tendances âgistes : « Ma p’tite dame » « Mais à votre âge c’est bien normal », voire même un discours général « petit vieux » sont autant d’éléments repérables et repérés.
Apporter systématiquement trop d’aide, mettre des objectifs au rabais en sous estimant toujours les capacités des personnes plus âgées, penser que la lenteur convient à la rééducation gériatrique sont autant de dérives âgistes : des stéréotypes de représentation conduisent à des stéréotypes des pratiques de rééducation.
Le degré de connaissance du vieillissement normal sur les fonctions motrices constitue, me semble-t-il, la base pour éviter de tomber dans le piège du programme mal adapté et tiré directement d’une rééducation élaborée pour des sujets plus jeunes dans un cadre nosologique propre à des maladies. De bonnes connaissances gériatrique et gérontologique doivent permettre de raisonner à partir de la fonction et des mécanismes de compensation afin de répondre au mieux aux besoins de cette population.
Alors, mon kiné est-il âgiste ? Certainement parfois mais, n’en doutez pas, il se soigne !