Le mensuel pratique et technique
du kinésithérapeute

Prothèse inversée d'épaule

Aude Quesnot
Kinésithér Scient 2018,0600:59-61 - 10/07/2018

Se rappeler

• Parmi les prothèses d’épaule, nous retrouvons classiquement les prothèses humérales simples, les prothèses totales anatomiques et les prothèses totales inversées. Ces dernières sont des prothèses semi-contraintes.

• La prothèse inversée a été inventée par Paul-Marie Grammont, chirurgien orthopédiste Dijonnais, suite à un constat unanime réalisé dans les années 1970 : « Les résultats fonctionnels obtenus après arthroplastie prothétique d’épaule dans les omarthroses associées à une rupture irréparable de la coiffe des rotateurs sont insatisfaisants. ».
La première prothèse inversée dite de Grammont a été posée 16 ans plus tard en 1986. La diffusion de ce type de prothèse devient mondiale à partir du début des années 2000.

• L’objectif des prothèses d’épaule inversée est d’obtenir une élévation de l’épaule grâce exclusivement au deltoïde.
La récupération de la rotation latérale active reste sous la dépendance de l’intégrité des muscles infra-épineux, petit rond et du deltoïde postérieur.
Cette prothèse inversée est composée (fig. 1) du côté huméral d’une cupule orientée avec une inclinaison de 155°, du côté glénoïdien d’une large hémisphère sans col placée directement sur la cupule glénoïdienne. Le centre de rotation est ainsi déplacé sur la cupule glénoïdienne et l’abaissement relatif obtenu de l’humérus par rapport à l’acromion permet d’obtenir une mise en tension des fibres du deltoïde et une efficacité accrue.

Figure 1
Prothèse inversée d’épaule
ou prothèse de Grammont
Figure 2
Omarthrose excentrée de l’épaule
sur une rupture de la coiffe des rotateurs

• La prothèse inversée d’épaule trouve ses indications dans :

– les omarthroses excentrées douloureuses du sujet âgés ≥ 75 ans (fig. 2) ;
– les ruptures irréparables de la coiffe des rotateurs ;
– en cas d’échec d’arthroplastie simple ou totale d’épaule ;
– les fractures de l’extrémité supérieure de l’humérus, céphalo-tubérositaires deplacées et comminutives chez le sujet âgé (fig. 3).

Figure 3
Séquelle de fracture de la tête humérale avec malposition du tubercule majeur rendant
la coiffe non fonctionnelle et traitement par prothèse inversée

La prothèse d’épaule inversée reste une excellente indication dans le traitement des ruptures massives et irréparables de la coiffe chez les patients douloureux et/ou pseudo-paralytiques âgés de 75 ans ou plus. Elle donne d’excellents résultats sur la douleur (plus de 85 % des patients indolores ou avec une douleur minime) et sur la mobilité en élévation active (entre 110 et 140° selon les études sur une intervention de première intention).

Néanmoins, en cas d’intervention de reprise, la mobilité active obtenue est beaucoup plus faible de l’ordre de 60 à 90°.

Les résultats sont modestes sur la rotation externe active (entre 0 et 5° en moyenne) et sur la récupération de la force musculaire (entre 2,5 et 4 kg pour le deltoïde).

Les pièges

Les complications sont :

– une instabilité de l’épaule majorée en cas de lésion du subscapulaire et lorsque la voie d’abord est delto-pectorale ;
– les ossifications hétérotopiques influencent significativement le score de Constant en réduisant la mobilité ;
– les encoches dans le pilier de la scapula, encore appelés notch ;
– les descellements (surtout de la pièce glénoïdienne) ;
– les fractures de vis ;
– les sepsis ;
– les fractures de fatigue de l’acromion ;
– le taux de survie de cette prothèse qui est faible dans le temps.

Clinique

En phase postopératoire, le tableau clinique est dominé par :

– des douleurs ;
– un hématome postopératoire ;
– une sidération du deltoïde ;
– la mise en place d’une immobilisation de type Dujarrier.

Les critères de surveillance sont :

– l’état général du patient, l’évolution de la douleur, l’évolution de la cicatrisation, la surveillance de la trophicité de la main et des doigts, la survenue de signes infectieux, l’évolution des amplitudes passives, puis actives, l’évolution du rythme scapulo-huméral ;
– une attention particulière est portée à la compréhension des consignes post-opératoires par le patient (gestes autorisés ou non) ;
– enfin, la réintégration du membre supérieur dans la réalisation des activités de la vie quotidienne ainsi que la satisfaction du patient sont des critères prioritaires.

Examens complémentaires

Ils comprennent des radiographies de face et de profil centrées sur l’épaule.

Rééducation de prothèse d'épaule inversée

Spécificité

La rééducation est systématique après la mise en place d’une prothèse d’épaule. Elle débute dès le 2ème jour postopératoire. Les résultats définitifs sont évalués à 6 mois postopératoires.

Les objectifs sont les mêmes que ceux poursuivis par la chirurgie à savoir l’indolence, l’obtention d’amplitudes compatibles avec les gestes fonctionnels et la stabilité.

Dans le contexte des prothèses inversées, « la chirurgie de l’épaule est une chirurgie fonctionnelle et à chirurgie fonctionnelle, rééducation fonctionnelle » [P. Grammont].

Le rééducateur n’a plus la crainte de la luxation, plus de doute sur la coiffe des rotateurs puisqu’elle est absente et concentre la rééducation sur la mobilité et la force du deltoïde. Le programme de rééducation privilégie la récupération globale du membre et non la récupération analytique.

Des consignes spécifiques sont données par le chirurgien en fonction de la voie d’abord utilisée. Une attention particulière doit être apportée à la cicatrisation du deltoïde qui est le muscle moteur de cette épaule.

Le travail de récupération de la force musculaire intéresse le deltoïde dans son ensemble mais également de manière analytique sur chacun de ses trois chefs principaux et le faisceau postérieur fait l’objet d’un renforcement spécifique puisque son action peut en partie pallier à la déficience des muscles rotateurs latéraux.

Le travail de recentrage de l’épaule est une contre-indication dans la prothèse inversée. Par ailleurs, le port de charges lourdes à bout de bras est à proscrire.

Rééducation

Les principes de la rééducation sont exposés dans le tableau I.

Tableau I
Principes de rééducation après la mise en place d’une prothèse inversée

Il existe également des spécificités en fonction de la voie d’abord. Après une voie d’abord supéro-latérale, l’immobilisation se fait sur un coussin souple d’abduction pendant J21 pour optimiser la cicatrisation du deltoïde antérieur. Le renforcement du deltoïde contre pesanteur débute à J21, contre résistance à J45.

Après une voie d’abord delto-pectorale, une attention particulière doit être portée à la cicatrisation du subscapulaire. Le renforcement et l’étirement de celui-ci débute à J45 (pas de rotation latérale supérieure à 10° avant J45 et pas de travail des rotateurs médiaux avant J45). Le patient est immobilisé 3 semaines coude au corps en dehors des séances de rééducation, puis par une simple écharpe qui sera sevrée progressivement vers J30/J45.

L’utilisation d’une canne du côté prothétique est à éviter formellement ainsi que le fait de s’appuyer sur le membre supérieur opéré.

Les délais moyens pour reprendre la conduite sont de 2,5 à 3 mois, la natation par exemple à 3 mois et les activités sportives recommandées, le bricolage ou le jardinage peuvent être repris à 6 mois postopératoires.

« Quel sport puis-je pratiquer ? » est une question de plus en plus fréquente même chez cette population âgée.

Les recommandations des conférences de consensus de l’American Schoulder end Elbow Surgery définissent 4 groupes de sport qui figurent dans le tableau II.

Tableau II
Recommandations sur la pratique sportive après chirurgie prothétique

Il est parfois difficile d’y répondre, compte tenu de la durée de vie des prothèses inversés d’épaule. Néanmoins, notre rôle est de conseiller les patients sur la reprise d’une activité raisonnée.

© D.R.

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