Conférence Cerveau et Rééducation
Michel Pillu
Kinésithér Scient 2018,0596:03 - 10/03/2018
Le thème de la conférence annuelle 2018 de l’École d’Assas est centré sur l’interaction entre le Cerveau et la Rééducation mais, quel cerveau pour quelle rééducation ?
L’idée du cerveau, au sens fonctions supérieures cognitives du terme, nous a semblé une évidence. N’importe quelle prise en charge de quelque patient que ce soit est la rencontre de deux cerveaux, porteurs l’un de technicité kinésithérapique et d’un vécu humain de thérapeute et l’autre d’une histoire humaine de patient. Mais les deux cerveaux sont beaucoup plus que cela, le thérapeute comme le patient sont porteurs d’une histoire, d’une sensibilité, d’une culture, d’un comportement, d’un style de communication, d’une gestuelle, etc. On voit bien que le champ du sujet « Cerveau et Rééducation » est immense, labyrinthique et source de perplexité pour n’importe quel thérapeute. Chaque praticien connaît toutes ces interactions mais il nous a semblé important de réfléchir, de mettre des mots, de conceptualiser et de hiérarchiser tous ces aspects de la relation rééducative.
L’idée du thème de cette conférence est en lien avec le bouillonnement actuel des neurosciences [1]. Presque chaque jour, les scientifiques nous apportent de nouvelles informations concernant les liens entre le cognitif et le comportement, entre le savoir et la pensée, entre le cortex et l’apprentissage. La notion de rééduquer suppose qu’il y a eu au préalable une éducation et qu’il faille la reprendre et/ou l’actualiser. Il en résulte une nécessité d’apprendre par le patient et on comprend bien comment le processus d’apprentissage mobilise les fonctions supérieures. Il y a aussi un autre lien entre les cerveaux des participants à une rééducation, à savoir le lien entre soin et compassion et au travers cette dualité, la valeur émancipatrice du soin [2, 3]. Tout cela explique et justifie que l’École d’Assas invite deux chercheurs qui vont nous faire voyager dans l’univers des neuro-sciences pour le plus grand bien des patients.
Dès qu’un patient entre dans un cabinet de kinésithérapie, le thérapeute le regarde et initie le processus d’évaluation : la façon de marcher, de se tenir, etc., sa posture et sa tenue vestimentaire, tout est jaugé. L’ensemble est analysé, filtré et comparé, permettant d’amorcer le raisonnement clinique. Ce processus, initié avec la formation aux sciences humaines, est le plus souvent inconscient. Il s’agit du « Subjective global assessment », bien connu des anglo-saxons [4]. Loin de nous, l’idée que la première impression est souvent la bonne, il n’empêche que ce premier « coup d’œil » est souvent plus important que nous l’admettons. Et il est parfaitement subjectif, animé et contrôlé par le cerveau du thérapeute.
Il en est de même pour l’évaluation clinique. La réingénierie des études de santé a introduit en France, le concept « biopsychosocial » qui permet au moyen d’outils comme la CIH (Classification Internationale du Handicap) ou bien les tests disponibles [5] de préciser toutes les particularités du patient afin de bâtir un diagnostic kinésithérapique porteur d’une prise en charge efficace de haut niveau. L’aspect psychosocial de cette évaluation clinique est plus ou moins subjectif et répond à des compétences issues du cerveau du thérapeute, guidé par celui du patient.
Avant la gêne fonctionnelle, la composante essentielle de la plainte des patients est le plus souvent, la douleur. Tout en faisant remarquer que nous devrions dire les douleurs tellement celles-ci sont polymorphes et diverses, aussi bien en ce qui concerne leur origine que leur mode d’expression. Dans une relation thérapeutique, cette douleur est partagée, elle retentit sur le patient douloureux, ce qui est un truisme mais elle influence aussi le comportement du thérapeute qui ne peut pas faire fi de la douleur du patient. Toutefois, le rééducateur a la particularité d’accompagner le patient dans son acceptation de la douleur lors des traitements. Nous parlons de « gestion de la douleur ». Nous savons tous d’ailleurs que soulager est le préalable à toute prise en charge efficace même si, à titre de plaisanterie, on dit quelque fois « qu’on supporte bien la douleur des autres » !
Or, qu’y a-t-il de plus dépendant du cerveau fonctions supérieures que la douleur [6-8]. Le vécu de son intensité fluctuante mais aussi son expression, le choix des mots, son influence sur le comportement de celui qui souffre est l’expression d’un des problèmes les plus prégnants de la rééducation et du rééducateur. C’est pourquoi toute évaluation de la douleur est perfectionnée par le rééducateur et nous savons la difficulté que nous rencontrons à mesurer les douleurs avec efficacité, rigueur et reproductibilité [9].
L’utilisation des fonctions supérieures au travers de rééducations comportementales sont aussi d’une grande ressource face aux douleurs chroniques [10]. Il en est de même pour les douleurs, leurs interactions avec l’utilisation faite en rééducation et leurs répercussions sur l’efficacité de la rééducation. Nous savons en tant que thérapeute que la gestion du fait douloureux est le début d’une prise en charge couronnée de succès.
Tout cela explique l’importance de l’article qui suit, proposé par Thomas Osinski.
Après le bilan clinique et l’élaboration du plan thérapeutique, le cerveau du thérapeute met en place, coordonne et organise le traitement en suivant un déroulé construit par les connaissances, les besoins du patient et l’expérience du thérapeute. Ce sont les trois piliers de la pratique de la kinésithérapie, prenant en compte les niveaux de preuves, comme enseignée par les spécialistes tel que Joshua Cleland [11] et ses co-auteurs.
Souvent une prise en charge débute par un contact manuel, c'est-à-dire le massage et on masse avec son cerveau [12-14]. Cet aphorisme ancien est bien connu de tous les thérapeutes et il illustre l’importance du ressenti du kinésithérapeute dans l’application des techniques qu’il a coutume d’utiliser dans sa pratique quotidienne. Cela dit le ressenti du patient est tout aussi important et nous savons tous combien est riche l’échange entre la peau du patient et les doigts du thérapeute comme l’inverse.
Outre la prise en compte des douleurs, une prise en charge habituelle tient forcément compte des besoins du patient en termes d’efficacité gestuelle dans une perspective fonctionnelle [15]. Selon les patients et du plus simple au plus compliqué : les retournements, le passage à la position assise et son maintien, l’évolution vers la position debout et sa maîtrise, puis la marche, etc. Toutes ces étapes d’évolution motrice supposent l’acquisition ou la réappropriation de l’équilibre [16]. C’est une tâche complexe de coordination située à l’interface entre les systèmes nerveux afférent sensitif et efférent neuromusculaire et les fonctions supérieures de commande et de régulation. La complexité de cet ensemble et sa relative fragilité à la frontière entre le conscient maîtrisé et paramétrable et l’automatique inconscient, est le fruit d’un long apprentissage. Cela est vrai dans les pathologies neurologiques [17] et d’autant plus que la complexité rend fragile. On comprend qu’il nous faille un guide pour nous piloter dans ce dédale et nous permettre d’intégrer tous ces paramètres de façon à appréhender leurs interactions réciproques de façon à préciser comment et pourquoi le thérapeute peut agir [18].
Face à un tel défi, une aide de très haut niveau est nécessaire. C’est pourquoi l’École d’Assas a fait appel à Serge Mesure, un des meilleurs spécialistes français de l’équilibre, son maintien comme sa régulation. La lecture de son exposé sera d’une grande aide à la compréhension de tous ces phénomènes un peu abscons qui ne demandent qu’à être éclairés, expliqués, compris et utilisés.
BIBLIOGRAPHIE [1] Town JM, Lomax V, Abbass AA, Hardy G. The role of emotion in psychotherapeutic change for medically unexplained symptoms. Psychother Res 2017 Mar 13:1-13. doi: 10.1080/10503307.2017.1300353. |